Ilana Isehayek
Presse / Textes Mes cabanes à Sélestat

Dressées au bord de la route, trois grandes boîtes assemblées de lattes en bois, viennent épouser les lignes de la structure métallique, en enfilade, d’un grand portique vide.

 

Comme dans ses précédents travaux, Ilana Isehayek construit des volumes, des formes et dialogue avec les espaces, à travers l’accumulation notamment d’une multitude de petites planches en bois, son matériau de prédilection.

 

Ici, les cellules construites par l’artiste, ces baraquements-cabanes, espaces en chantier, de fabrication précaire et provisoire, s’intègrent parfaitement au paysage architectural moderne environnant et viennent nourrir d’une fonctionnalité nouvelle, l’espace de la structure métallique vide, "signe architectural gratuit" , à la fois détaché du bâtiment de l’Agence culturelle, tout en y étant intégré.

 

"Living-room" , "bedroom" , ou encore "kitchen" ...Sur chaque boîte, inscrit en couleur, le nom d’une pièce puis, en faisant le tour, sur chacun des côtés, des ouvertures ça et là, sorte de judas dont le principe aurait été inversé, ouvrant sur des photographies de scènes d’intérieur, images qui en vérité sont parvenues à l’artiste par e-mail avec un format et un grain "web-cam" .

 

Ilana Isehayek met ainsi en scène le spectateur, devenu, le temps de brèves intrusions de l’espace privé et intime dans l’espace public, le témoin, mais aussi l’acteur de ce voyeurisme, qui pourrait rappeler, comme un écho version moderne, le si mystérieux "Etant donnés" de Marcel Duchamp : vétuste porte de grange percée de deux oeilletons à travers lesquels on aperçoit, derrière la brèche d’un mur de brique, une femme nue, allongée sur le dos dans un buisson, offerte aux regards.

 

Dans cette mise en situation, les inscriptions sur les boîtes prennent alors tout leur sens, puisqu’il s’agit, en nommant par avance les scènes contenues, de gommer tout effet de surprise et d’inscrire d’emblée le spectateur dans un rôle prédéfini.

 

Et ce n’est pas seulement de ce voyeurisme immédiat dont nous parle ici Ilana Isehayek puisque le procédé suppose presque instantanément sa mise en abîme, du fait même de son inscription dans un espace public où chacun pourra être tour à tour du côté de celui qui regarde, mais aussi de celui qui est regardé.

 

Mise en abîme renforcée également par la situation même de l’installation, face aux nombreuses fenêtres du bâtiment attenant, d’où chaque occupant pourra à loisir observer à tout moment, le passant penché sur ces petites ouvertures dans une situation devenue presque intime au beau milieu de cet espace public.

 

De ces images tirées d’internet et logées à l’intèrieur de petites fenêtres, (un des termes d’ailleurs les plus utilisés dans le langage informatique), les constructions de l’artiste, habitations sommaires, s’assimilent progressivement aussi, de part leur forme de boîte, à l’écran d’une manière générale et renvoient à la facilité de rentrer chez chacun, de mettre "la vie en boîte" , nous rappelant également la crainte, que la petite caméra, rivée comme un oeil fixe et omniprésent dans les lieux publics aujourd’hui, n’en vienne à confondre rapidement l’espace public et privé.

Ilana Isehayek,
"Mes cabanes à Sélestat"
Nathalie Le Berre

Voir le projet
Télecharger l'article

 

Autres articles